Du Jaune des Romans aux Rouges écarlates : La Naissance et l’Épanouissement du Giallo
Étymologie et Proto-Giallo : Des Racines Littéraires au Cinéma Naissant
Le terme “Giallo” n’est pas simplement une référence à la couleur jaune, mais un héritage des romans policiers italiens. Dans les années 1910, des films tels que “La mano della morta” (1916) ont esquissé les prémices du Giallo, offrant des signes avant-coureurs du genre à venir. Cependant, le véritable catalyseur du Giallo cinématographique fut l’avènement de la série de romans “I libri gialli” de la maison d’édition Mondadori en 1929.
Publiés sur un papier de faible qualité, ces romans policiers ont captivé l’imagination du public italien et au-delà. Le succès retentissant de ces œuvres a incité d’autres maisons d’édition à produire leurs propres romans arborant la couverture jaune devenue emblématique. Même des auteurs étrangers de renom tels qu’Agatha Christie et Georges Simenon ont vu leurs œuvres publiées sous cette forme distinctive lors de leurs premières incursions sur le marché italien. Ainsi, une nouvelle génération d’auteurs italiens, tels qu’Alessandro Varaldo, Alessandro De Stefani, Tito A. Spagnol, Augusto De Angelis, Ezio D’Errico, et Franco Enna, a émergé, jetant les bases de l’inspiration cinématographique à venir.
La prolifération de la production cinématographique s’est accélérée avec l’avènement du cinéma parlant, consolidant les conditions stylistiques préexistantes dans les années 1940 et 1950. Des films tels que “Cour d’assises” (1931) de Guido Brignone, “Giallo” (1933) de Mario Camerini, et “Ce soir à onze heures” (1938) d’Oreste Biancoli ont contribué à définir les prémices du Giallo cinématographique. Toutefois, c’est dans les années 1960 que le genre a trouvé son expression formelle avec l’œuvre de pionniers tels que Mario Bava, propulsant le Giallo sur la scène cinématographique internationale.
Revisitons ces moments cruciaux, des romans jaunes aux premiers éclats du Giallo à l’écran, pour comprendre l’évolution captivante de ce genre unique.
Les Années 1960 : L’Avènement du Giallo avec Mario Bava – Le Père du Giallo
Les années 1960 constituent une époque charnière dans l’histoire du Giallo, et nul autre que le réalisateur Mario Bava ne peut être désigné comme le père fondateur du genre. Son œuvre pionnière, “La Fille qui en savait trop” (1963), initialement intitulée “L’Incubo,” marque le point de départ officiel du Giallo à l’italienne. Dans ce film, Bava instaure une intrigue angoissante et des éléments visuels distinctifs qui forgeront l’identité du genre. Ce chef-d’œuvre pose les bases solides du Giallo en introduisant une atmosphère macabre et des meurtres stylisés, signant ainsi l’avènement d’une ère nouvelle dans le cinéma italien.
En 1964, Mario Bava consolide sa position de pionnier avec “Six Femmes pour l’assassin,” une œuvre emblématique du Giallo. Ce film va au-delà de simplement consolider le genre ; il érige des caractéristiques distinctives qui deviendront des signatures du Giallo, notamment le tueur vêtu d’un imperméable et masqué. Bava innove en introduisant des plans subjectifs du tueur, des scènes de crime élaborées et sanglantes, ainsi que des éléments de nudité, contribuant à définir les contours esthétiques du Giallo. “Six Femmes pour l’assassin” sert de référence incontournable, posant les jalons pour les réalisateurs à venir et inspirant une multitude de films au sein du genre.
Les années 1960 dévoilent une ère fondatrice du Giallo, où les codes du genre sont ciselés avec soin par des réalisateurs visionnaires comme Mario Bava. Sa capacité à tisser des récits intriguants, associés à une esthétique visuelle distinctive, a transformé le Giallo en un genre cinématographique à part entière. L’héritage de Bava résonne à travers les décennies, et son influence demeure incontestable dans le paysage cinématographique italien, faisant de lui le véritable père du Giallo.
Les Années 1970 : L’Apogée du Giallo avec Dario Argento
Les années 1970 marquent un chapitre incontournable dans l’histoire du Giallo, avec Dario Argento en tant que chef d’orchestre visionnaire de cette révolution artistique. Sa trilogie animalière, débutant avec “L’Oiseau au plumage de cristal” (1970), suivi de “Le Chat à neuf queues” (1971) et “Quatre Mouches de velours gris” (1971), ainsi que le film emblématique “Les Frissons de l’Angoisse” (Profondo Rosso) (1975), demeurent des tournants majeurs pour le genre.
“Les Frissons de l’Angoisse” mérite une mention particulière, non seulement en raison de son impact sur la filmographie d’Argento, mais aussi pour sa contribution inoubliable du groupe Goblins à la bande sonore. Cette collaboration a créé une atmosphère sonore distinctive qui a transcendé le genre du Giallo, laissant une empreinte durable dans l’histoire du cinéma d’horreur.
Dario Argento, avec sa sensibilité artistique unique, a apporté des innovations cruciales à travers sa mise en scène méticuleuse des crimes. Il a élevé le Giallo au-delà de ses conventions habituelles, accordant une attention particulière aux détails des meurtres, transformant chaque crime en une œuvre d’art macabre. L’utilisation audacieuse d’effets spéciaux, en particulier dans des scènes de meurtre élaborées, a reconfiguré les attentes du public et a contribué à définir un nouveau standard pour le genre.
L’approche visuelle d’Argento a été tout aussi révolutionnaire. En mettant l’accent sur une esthétique visuelle saisissante, il a éloigné le Giallo de son étiquette de “films de seconde zone” pour le propulser dans le monde de l’art cinématographique. Les cadrages innovants, les jeux de lumière suggestifs et la composition visuelle minutieuse ont créé une atmosphère captivante et angoissante, capturant l’imagination du public et élargissant la portée artistique du Giallo.
La trilogie d’Argento, ainsi que “Les Frissons de l’Angoisse,” ont également marqué le Giallo par leur bande sonore envoûtante, composée par le légendaire Ennio Morricone et le groupe Goblins. La musique, avec ses tonalités évocatrices, a renforcé l’impact émotionnel des films, créant une symbiose parfaite entre le visuel et l’auditif. Cette collaboration fructueuse a contribué à façonner l’identité sonore distinctive du Giallo.
L’aspect psychologique du Giallo a également été exploré plus en profondeur sous la direction d’Argento. Les protagonistes et les tueurs ont été dotés de complexités psychologiques, offrant une plongée immersive dans la psyché humaine. La connotation violente et érotique du genre a atteint des sommets nouveaux, stimulant les sens du spectateur et ajoutant des dimensions inédites à l’expérience cinématographique.
Dario Argento, avec sa trilogie emblématique et “Les Frissons de l’Angoisse”, a laissé une empreinte indélébile sur le Giallo. Son influence s’étend bien au-delà des frontières du genre, solidifiant sa place dans l’histoire du cinéma italien comme un artiste novateur qui a repoussé les limites et redéfini les normes du cinéma criminel et horrifique.
Les Années 1980 et Postérité : Entre Déclin et Renaissance Héritée
Les années 1980 marquent une période ambivalente pour le Giallo, où le genre semble connaître un déclin apparent, mais pas sans laisser derrière lui un héritage durable. Dario Argento, véritable icône du Giallo, persiste dans sa contribution au genre au cours de cette décennie. Malgré les signes de désuétude, des réalisateurs tels qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani se distinguent en redonnant vie au Giallo, perpétuant ainsi son héritage à travers des œuvres telles que “Amer” (2012). Dario Argento, réalisateur visionnaire des années 1970, reste fidèle au Giallo dans les années 1980. Bien que cette période puisse être considérée comme une phase de ralentissement pour le genre, Argento contribue encore à son évolution avec des films tels que “Ténèbres” (1982) et “Phenomena” (1985). Ces œuvres reflètent une transition vers des thèmes plus surnaturels tout en maintenant les éléments caractéristiques du Giallo.
Les héritiers du Giallo, tels qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani, se démarquent au XXIe siècle en rendant hommage au genre avec “Amer” (2012) et “L’étrange couleur des larmes de ton corps” (2013). Ces cinéastes contemporains ont réussi à capturer l’essence du Giallo tout en apportant une touche contemporaine à leur interprétation. Leurs films sont des explorations visuelles et audacieuses qui embrassent les conventions stylistiques du Giallo, tout en les réinterprétant pour s’adapter à la sensibilité cinématographique moderne.
Ainsi, bien que les années 1980 aient signalé un certain déclin pour le Giallo en tant que genre dominant, son héritage persiste de manière remarquable dans le cinéma contemporain. Les réalisateurs actuels, tels qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani, mais aussi d’autres comme Peter Strickland avec “Berberian Sound Studio” (2012) et “The Duke of Burgundy” (2014), continuent de s’inspirer des codes esthétiques et narratifs du Giallo. Le Giallo, loin de disparaître, trouve une nouvelle vie et une postérité inattendue, assurant ainsi sa place unique et indélébile dans l’histoire du cinéma.
Liste de Films Emblématiques
“La Fille qui en savait trop” (1963) – Mario Bava Le film fondateur qui a initié l’essor du Giallo.
“Six Femmes pour l’assassin” (1964) – Mario Bava Un chef-d’œuvre emblématique de Bava, consolidant les caractéristiques distinctives du Giallo.
“Une Lame dans l’Ombre” (1965) – Lucio Fulci Une contribution unique de Fulci au genre.
“Perversion Story” (1969) – Lucio Fulci Un autre film notable de Fulci dans le monde du Giallo.
“Le Corps de la Victime” (1972) – Sergio Martino Une œuvre importante de Sergio Martino dans le Giallo.
“Torso” (1973) – Sergio Martino Un autre film marquant de Martino, contribuant à l’évolution du Giallo.
“L’Oiseau au plumage de cristal” (1970) – Dario Argento Le début de la trilogie animale d’Argento, redéfinissant le genre.
“Les Frissons de l’Angoisse” (1975) – Dario Argento Un chef-d’œuvre visuel avec la collaboration inoubliable de Dario Argento et du groupe Goblins pour la musique.
“Profondo Rosso” (1975) – Dario Argento Également connu sous le titre “Les Frissons de l’Angoisse,” ce film a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du Giallo.
“Ténèbres” (1982) – Dario Argento Un film des années 1980 qui témoigne de la persistance d’Argento dans l’évolution du genre.
“Amer” (2012) – Hélène Cattet et Bruno Forzani Une œuvre contemporaine qui rend hommage au Giallo tout en apportant une vision unique.
Liste de Réalisateurs Représentatifs
Mario Bava: Souvent considéré comme le père du Giallo, ses films des années 1960 ont jeté les bases du genre.
Lucio Fulci: Connu pour ses contributions uniques au Giallo.
Sergio Martino: Réalisateur prolifique du Giallo avec des œuvres marquantes dans les années 1970.
Dario Argento: Le maître incontesté du Giallo, dont l’œuvre a redéfini le genre dans les années 1970 et au-delà.
Hélène Cattet et Bruno Forzani: Des réalisateurs contemporains qui ont revitalisé le Giallo avec des films originaux.
Aldo Lado: Connu pour son approche innovante du Giallo.
Vidéo:
Interview avec… Jean Baptiste Thoret #2 (Dario Argento : Soupirs dans un Corridor lointain)
Merci à la chaîne Youtube L’Art Règnait pour cet excellent entretien
0 commentaires