Lucio Fulci, le poète du macabre



Biographie:
Lucio Fulci est né le 17 juin 1927 à Rome, dans une Italie marquée par les tourments de l’Histoire. Il grandit dans une époque troublée, et cette ombre portée sur son enfance semble déjà esquisser les contours de son futur art, un art où le macabre se fait sublime et où l’horreur dialogue avec la poésie.
D’abord tenté par une carrière médicale, il bifurque vers les beaux-arts, mais c’est le cinéma qui finit par l’absorber. À ses débuts, il travaille comme scénariste et assistant réalisateur pour des comédies populaires italiennes. Pourtant, sous la légèreté apparente de ces premiers travaux, se cachait un esprit inquiet, hanté par l’obscurité et fasciné par les mystères de l’âme humaine. Fulci commence à réaliser ses propres films à la fin des années 1950, mais c’est dans les années 1970 qu’il s’affirme comme l’un des maîtres du giallo, ce genre de thrillers italiens où le suspense se mêle au grotesque.
Son tournant macabre survient en 1979 avec Zombi 2 (souvent présenté comme une réponse non officielle au Dawn of the Dead de George A. Romero). Le film, avec ses images hallucinantes — comme celle d’un zombie affrontant un requin dans des eaux tropicales — devient un classique instantané. Fulci révèle alors son style inimitable : un cinéma viscéral, à la fois baroque et brut, où la violence frontale côtoie une étrange beauté. Ses œuvres deviennent des cauchemars cinématographiques, où la logique du récit s’efface devant celle de l’émotion pure et du choc visuel.
Les années 1980 marquent l’apogée de sa carrière avec des films comme L’Enfer des zombies, L’Au-delà (E tu vivrai nel terrore! L’aldilà) et Frayeurs (Paura nella città dei morti viventi). Ces œuvres plongent dans des abîmes métaphysiques et convoquent des visions d’un autre monde, peuplé de morts-vivants, de portes infernales et d’une terreur indicible. Fulci, parfois surnommé “le poète du macabre”, y explore des thèmes récurrents : la fragilité de la réalité, le poids du péché et la frontière floue entre la vie et la mort.
Mais derrière l’horreur, il y a toujours une humanité tragique. Fulci, profondément marqué par des drames personnels — la perte de sa femme par suicide et la maladie de sa fille — infuse ses films d’une mélancolie qui transcende le gore. Sous l’apparente gratuité de certaines scènes de violence se cache une méditation désenchantée sur l’existence et sur l’inévitable déclin de toutes choses.
Lucio Fulci fut aussi un incompris de son temps. Critiqué pour la brutalité de ses œuvres, souvent relégué au rang de cinéaste de série B, il a pourtant su créer un univers singulier, une esthétique qui influencera des générations de réalisateurs, de Quentin Tarantino à Eli Roth. Fulci n’a jamais cherché à séduire ; il a préféré troubler, bousculer, obséder.
Il s’éteint le 13 mars 1996, malade et ruiné, mais ses films continuent de hanter les écrans et les esprits. Comme ses personnages, Lucio Fulci semble avoir franchi les portes d’un au-delà, mais son œuvre, elle, reste bien vivante, tapie dans l’ombre, prête à surgir pour ceux qui osent affronter ses visions.
Sélection de films :
Filmographie
Années 1950
1959 : I ladri
Années 1960
1961 : Gli imbroglioni
1962 : Le massaggiatrici
1964 : I maniaci
1965 : Come inguaiammo l’esercito
1966 : Come svaligiammo la banca d’Italia
1967 : Operazione San Pietro
1968 : Una sull’altra (Perversion Story)
Années 1970
1971 : Una lucertola con la pelle di donna (Le Venin de la peur)
1972 : Non si sevizia un paperino (La Longue nuit de l’exorcisme)
1975 : Il cav. Costante Nicosia demoniaco, ovvero: Dracula in Brianza (Dracula en Brianza)
1977 : Sette note in nero (L’Emmurée vivante)
1979 : Zombi 2 (L’Enfer des zombies)
Années 1980
1980 : Paura nella città dei morti viventi (Frayeurs)
1981 : E tu vivrai nel terrore! L’aldilà (L’Au-delà)
1981 : Quella villa accanto al cimitero (La Maison près du cimetière)
1982 : Lo squartatore di New York (L’Éventreur de New York)
1983 : Manhattan Baby
1987 : Aenigma
1988 : Zombi 3 (coréalisation avec Bruno Mattei et Claudio Fragasso)
Années 1990
1990 : Un gatto nel cervello (Le Chat à neuf queues)
1991 : Demonia
1991 : Voci dal profondo (Voix du profond)
1991 : Le porte del silenzio (Les Portes du silence)
Anecdotes sur la vie et la carrière du “poète du macabre”:
1. Le poète du gore
Lucio Fulci n’était pas qu’un réalisateur de films d’horreur. Avant d’être surnommé le “Godfather of Gore”, il avait une formation en médecine et en arts. Ses études de médecine, bien qu’inachevées, lui ont permis de mieux comprendre l’anatomie humaine, un atout qu’il a exploité pour créer des scènes de violence viscérales et réalistes dans ses films. Il se voyait pourtant davantage comme un poète tragique, capturant à l’écran des visions cauchemardesques pour révéler la noirceur de l’âme humaine.
2. Une entrée atypique dans le cinéma
Fulci a commencé sa carrière dans le monde du cinéma comme assistant réalisateur, notamment pour Steno, un grand nom de la comédie italienne. Cette expérience l’a amené à réaliser lui-même plusieurs comédies dans les années 1960, comme I maniaci. Ces débuts comiques, bien que moins connus, ont jeté les bases de son style narratif fluide et de sa capacité à jongler avec les tons.
3. La censure et les polémiques
L’un de ses films les plus célèbres, Non si sevizia un paperino (1972), a été la cible de violentes critiques et de censure en Italie. Le film mélangeait horreur et drame social en explorant des thèmes tabous comme la religion, la superstition et l’hypocrisie des petites communautés rurales. Une scène controversée où une sorcière (jouée par Florinda Bolkan) est lynchée en pleine nature a conduit à de vives protestations de la part de groupes religieux. Fulci, pourtant athée, a toujours défendu son œuvre comme un miroir brutal mais nécessaire de la société italienne.
4. Rivalité avec Dario Argento
Souvent comparé à son contemporain Dario Argento, Fulci a toujours cherché à se démarquer. Si Argento misait sur des intrigues sophistiquées et une esthétique baroque, Fulci préférait un style plus cru et viscéral, s’intéressant davantage à la peur primale. La rivalité entre les deux hommes était largement amplifiée par les médias, bien qu’ils aient reconnu mutuellement leur talent. Fulci, en revanche, s’est souvent plaint que les critiques italiens le considéraient injustement comme un “réalisateur de série B”.
5. Zombi 2, un succès inattendu
En 1979, Fulci réalise Zombi 2, pensé comme une réponse opportuniste au succès de Dawn of the Dead de George A. Romero (sorti sous le titre Zombi en Italie). Ce qui aurait pu être un simple film d’exploitation est devenu un chef-d’œuvre du cinéma d’horreur grâce à la maîtrise visuelle de Fulci. La fameuse scène où un zombie affronte un requin sous l’eau est devenue l’une des plus iconiques du genre. Fulci a admis plus tard que cette scène, autant audacieuse que dangereuse, était un défi qu’il s’était imposé pour prouver son talent.
6. Les collaborations tumultueuses
Fulci était connu pour son caractère difficile sur les plateaux. Il exigeait un contrôle absolu sur ses films et entrait souvent en conflit avec ses producteurs et collaborateurs. Lors du tournage de Lo squartatore di New York (1982), un film particulièrement controversé pour ses scènes de violence extrême, Fulci aurait ignoré les recommandations du producteur pour réduire l’intensité graphique. Ce film reste l’un de ses travaux les plus critiqués mais aussi les plus influents dans le genre du giallo.
7. Une santé fragile et un destin tragique
Dans les années 1980, Fulci a été diagnostiqué avec un diabète sévère qui a lourdement impacté sa carrière. Incapable de travailler à plein régime, il a été relégué à des productions à plus petit budget. Malheureusement, ses dernières années ont été marquées par la solitude et les difficultés financières. En 1996, alors qu’il s’apprêtait à collaborer avec Dario Argento sur un projet intitulé Wax Mask, Fulci est décédé brusquement d’un diabète non traité.
8. Un héritage redécouvert
Lucio Fulci a longtemps été considéré comme un réalisateur mineur en Italie, mais son œuvre a connu un regain d’intérêt dans les années 1990 grâce à des cinéastes comme Quentin Tarantino et Guillermo del Toro, qui l’ont cité comme une influence majeure. Aujourd’hui, des films comme L’Au-delà ou Frayeurs sont étudiés pour leur approche singulière de l’horreur et leur capacité à créer une atmosphère cauchemardesque unique.
9. L’homme derrière la caméra
Malgré son goût pour le macabre à l’écran, Fulci était connu pour son humour mordant et son affection pour ses proches collaborateurs. Il se considérait comme un éternel incompris, souvent rejeté par le public mainstream mais vénéré par les amateurs de cinéma d’horreur. Dans une interview, il a déclaré : “Je ne fais pas des films pour plaire. Je fais des films pour déranger, pour réveiller les spectateurs de leur léthargie.”